Prescription d'affiche

¿ɹıos ɹǝıɥ sɹǝʌuǝ,ן ɐ sıɯ sǝ,ʇ n⊥

C'était il y a bien longtemps, une agence m'appelait pour travailler sur l'affiche du salon du Bourget, le truc avec des avions. J'étais tout content à l'idée de bosser à nouveau pour une agence de comm. ça faisait si longtemps. J'étais à nouveau reconnu comme directeur artistique - le fameux D.A. - et plus comme un obscur graphiste de merde. On m'a fait patienter dans la grande salle des "créa". Avec un café sur la table. Juste pour moi. Il y avait des écrans de télévision, une longue bibliothèque sur laquelle trônaient ces quatre lettres magiques : C R E A. Mon graale (fig.1). Elles étaient en fer forgé. C'était bô. Surtout quand j'ai changé leur ordre de lecture (fig. 2). J'étais si confiant, si fort, si créatif. Plus rien ne pouvait m'arrêter. Ensuite, tout est allé très vite, ma cliente est entrée, suivie d'une autre D.A. et d'une commerciale. Elles m'ont "briefé" pour l'affiche. Fallait que j'aille vite moi aussi. Elles n'ont pas remarqué ma création avec ces quatre lettres magiques. Hin hin hin, j'étais si fort (fig. 2). Puis je suis reparti en vélo chez moi travailler, avec fougue. Pour pondre quelques affiches (fig. 3, 4 et 5). Très très beaux les affiches que j'ai pondu. Toutes envoyées par mail et toutes aussi sec refusées. Merde. Alors j'ai dit OK, que j'allais en faire d'autres, du moment qu'on me paie après tout, que c'était mon métier, que je suis D.A. et que j'étais complètement bourré d'idées. Et puis j'avais quand même formulé l'accroche de l'affiche en plein brief. Mais non. J'ai reçu ce SMS (fig. 6) sur mon putain de mobile tout pourri : "Désolé JM, je suis dans le speed, j'ai passé l'affiche à un autre Free". Bon dieu. Un SMS qui venait de l'autre D.A. Une grosse femme très laide et bien jeune pour son âge. J'étais chocolat. Marron. La merde au cul. Torpillé. Elle m'a dit ensuite : " je t'ai envoyé mon affiche (fig. 7), et c'est mon affiche qui sera présentée au client ". Fin de la mission. En plus je suis asthmatique. Son affiche était si laide mais... le client est si roi. Alors j'ai envoyé ma facture. Pas de réponse. J'ai appelé une dizaine de fois pour engager des conversations, des conversations forts laides et brèves. Comme un chien qui aboie derrière la haie (fig. 7). Il y eut une âpre négociation au cours de laquelle je me vis amputé d'un bras. Je leur dis que j'allais revenir malgré tout, moi et mon vélo, et que cela ne se passerait pas comme ça, que j'étais D.A. Elles finirent par me régler la moitié de mon devis. Je me sentais si las. Je pensais à tous ces avions. Mais je n'ai pas moufeté. J'ai encaissé la moitié de ce chèque, sans un mot. Je n'étais plus D.A. J'étais à nouveau graphiste (fig. 1). Un peu plus merdeux (fig. 2). Toujours plus amer. Un peu plus vieux d'une expérience dont je savais que même après vingt années d'exercice son acquis ne contenterait jamais ma délirante envie d'être rétribué pour ce que je produis (fig. 2 ou les autres). Alors nous (fig. 8) - ma femme et les enfants - partîmes immédiatement pour une semaine de ski prolongé à La Plagne. J'étais si heureux de pouvoir leur offrir ma protection sous la vulgarité du tonnerre des canons à neige.

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